Interview #7 : Mathieu Gaborit

Publié le par Mina

~ Interview de Mathieu Gaborit ~

 

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Présentation par Mina : Mathieu Gaborit est un auteur français de fantasy (cocorico ! ^^) et de science-fiction... mais il est aussi rôliste, a collaboré au magazine Casus Belli et a world-designé des jeux de rôle comme Ecryme ou Agone. C'est aussi une personne très sympathique qui a accepté de répondre à mes quelques questions avec des mots toujours aussi enchanteurs, je vous laisse savourer... (^-^)

 

Mina : Bonjour et merci infiniment d'avoir accepté cette interview. (^-^)
Mathieu Gaborit : Merci de m'accueillir, Mina !

M : Commençons simple : depuis combien de temps écris-tu?
M.G. : Depuis l'âge de 11 ou 12 ans. Mes premiers souvenirs remontent à mes notes de jeu de rôle. On est au début des années 80 et je découvre ce continent immense de l'imaginaire où, finalement, je peux très vite me frotter à l'expérience de l'écriture. C'est une approche encore trouble et marginale mais il y a déjà, en moi, cet appétit féroce de formaliser un imaginaire. Scénarios et aides de jeu me familiarisent avec la démarche en elle-même : l'écrit devient un vecteur, l'écrit devient un espace que je déchiffre, que je défriche et que je discipline tant bien que mal à travers le média "jeux de rôle". Il faudra attendre l'adolescence pour que j'ose conceptualiser l'idée d'un roman. Ce n'était pas, à l'époque, une ambition assumée. Disons que je caressais le vague espoir un jour d'être édité mais je n'en faisais pas une évidence. Les premières pages du Souffre-Jour sont nées d'un désir profond. Comme un appel qui résonnait je ne sais où. Un appel impérieux et délicieux.

M : D'où te vient cette passion de l'écriture ?
M.G. : D'un désir, donc. Mon écriture se loge dans une sincérité où le désir, finalement, est roi. Bien sûr, l'écriture a une filiation, un héritage. Mes parents ont aiguisé ma curiosité. J'avais accès, grâce à mon père, à une bibliothèque monumentale, des milliers d'ouvrages mais aucun, excepté quelques classiques comme Borges, qui se revendiquaient d'une littérature de genre. Ma sensibilité à l'imaginaire, je la tiens plutôt de ma mère, des contes qu'elles nous racontaient, à ma soeur et moi, le soir, avant de s'endormir.

  La passion de l'écriture est un étrange mélange de désirs et de frustrations. Pour moi, c'est un processus douloureux, un processus engagé. Si passion il y a, elle ressemble plus à une vocation qui flirte avec cet appel dont je parlais. La sensation, finalement, de faire ce qui doit être fait : servir l'imaginaire. J'ai l'obsession d'une transmission. On revient à cette idée de filiation comme si, vous et moi, étions à un moment ou à un autre, des porteurs de rêve, un peu comme ses anonymes ou ses sportifs appelés à tenir la flamme olympique. L'image est un peu facile mais en réalité, à mes yeux, rien d'autre ne compte. Les écrivains de l'imaginaire sont des passeurs passionnés, des éveilleurs.

M : Quelles sont tes inspirations ?
M.G. : Des échos nichés un peu partout. Dans la vie, dans l'art. Dans une phrase de ton fils aîné comme dans un film. Dans la lecture d'un essai sur le mythe de Sisyphe ou au détours d'un jeu vidéo. La question est moins celle de l'inspiration que de la porosité de l'âme. Chez moi, la créativité est une sensibilité, une résonance aux bruits du monde. Si tu écoutes et si, par chance, tu es doté d'une machine à rêve à peu près fonctionnelle, tu peux créer.

M : Je sais que tu es rôliste, quelle place ont les jeux de rôle dans tes écrits ?
M.G. : Ils sont à l'origine de ma vocation bien qu'aujourd'hui je fasse une vraie distinction entre cet imaginaire organique du jeu de rôle et celui, plus tutélaire, du roman. Tous deux puisent, bien entendu, aux mêmes sources primitives. A l'inconscient collectif, à un désir d'alternative ou d'immersion. Le jeu de rôle est une proposition imaginaire, une promesse même, où les auteurs offrent un espace et une intention de jeu. Le jeu de rôle est, d'une certaine manière, une invitation en suspens. C'est un imaginaire dont la substance est amené à changer et à évoluer.

  Dans mes écrits, le jeu de rôle reste une formidable école du "world design" et du regard panoramique, c'est-à-dire de la manière dont ton regard embrasse la totalité d'un monde alternatif. Dans le roman, l'effet de loupe réduit le champ des possibles. Il n'a pas une vocation de principe à se transformer. Il est fixé. Dans le jeu de rôle, les auteurs proposent une matière que les joueurs sculptent. De ce point de vue là, il y a quelque chose qui effleure la notion d'accouchement. A tes enfants, tu vas donner les moyens de te quitter. Dans le jeu de rôle, c'est un peu la même chose. Tu vas donner à ton univers (au sens large, le "background" au même titre que l'expérience de jeu) les moyens de partir, de grandir à travers les joueurs. De s'épanouir.

 

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  Il faut du temps pour gommer les mauvais réflexes du jeu de rôle et en particulier celui qui consiste à privilégier l'univers à l'histoire. Le jeu de rôle t'enseigne l'art de l'amorce si on s'en tient à la seule démarche fictionnelle (une histoire et des personnages). Le scénario va évoluer avec les joueurs. Dans le roman, tu es le seul responsable. L'enjeu, dès lors, est d'assumer cette responsabilité :)

M : Qu'as-tu envie de transmettre en priorité à tes lecteurs ?
M.G. : Un éveil, ou plutôt une manière de muscler son imaginaire. Je reste fidèle à ce credo : les ombres et les silences. Autrement dit, tout ce qui relève de la suggestion ou de l'évocation qui permettront aux lecteurs de s'engouffrer dans une faille et de muscler leur imaginaire. Pour le rendre possible, il faut une crédibilité. Si ton histoire est crédible, alors ces ombres et silences qui existent en creux de cette même histoire peuvent inspirer le lecteur. C'est ce qui m'importe, c'est ce qui me pousse, souvent, à rechercher une familiarité de la pensée magique. Une véritable proximité de l'univers qui offre au lecteur des passages entre lui et moi.

M : Je t'ai découvert avec "Les Chroniques des Crepusculaires", dont j'ai adoré le personnage principal, ton style d'écriture et, par dessus tout, ton univers ; peux-tu nous en dire un peu plus sur la naissance de cette trilogie ?
M.G. : Souffre-Jour, le premier volet de la trilogie, ne comptait qu'une vingtaine de pages lorsque Stéphane Marsan, auteur chez Multisim, a décidé de créer une maison d'édition. Il cherchait des auteurs et je lui ai présenté cet embryon de roman. Le courant est passé et Souffre-Jour a été publié. Dès lors, la machine s'est emballée. Le succès m'a permis d'envisager la suite et de développer mon histoire à travers les Danseurs de Lorgol puis Agone.

  A bien des égards, cette trilogie (tout comme la suite avec Abyme) exprime assez bien ma perception de l'imaginaire. J'étais plus jeune et j'avais grandi avec les grands noms de la Fantasy (Tolkien, Moorcock, Howard), avec le jeu de rôle, le jeu vidéo, les livres dont vous êtes le héros, etc. Une vaste culture de l'imaginaire qui avait un atout majeur : elle était décomplexée. L'école Mnémos a abordé frontalement la question de la Fantasy pour chercher d'autres voies, d'autres approches.

  Pour exprimer un nouveau regard sur le genre. Je crois que c'est surtout cela qui a plu. Qu'on ose s'attaquer à une Fantasy que les Anglo-Saxons avaient annexé. Qu'on y projette une sensibilité presque "européenne".

 

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M : Mon fiancé, qui est en fait à l'origine de ma découverte des "Chroniques des Crépusculaires" a une question à te poser : as-tu prévu, un jour, d'écrire un roman reprenant la trame du jeu de rôle Agone et ainsi nous faire voyager au delà d'Urguemand ? =)
M.G. : Intimement, je crois que oui mais il me faudra du temps avant de pouvoir dépasser cette incroyable nébuleuse d'histoires générées par le jeu de rôle Agone. Si je dois écrire à nouveau dans les Chroniques des Crépusculaires, je dois pouvoir le faire avec simplicité. Pour l'instant, toutes ces histoires façonnées par les joueurs m'intimident. Pour écrire, je devrais ne pas en tenir compte et, en cela, ce serait une forme de trahison. Je dois d'abord trouver le moyen de digérer cet héritage.

M : J'ai apprécié également ta collaboration avec Fabrice Colin sur les "Confessions d'un automate mangeur d'opium" ; comment est né ce projet ? que t'a apporté ce travail à deux ?
M.G. : Fabrice et moi partagions une profonde complicité. On travaillait tous les deux à Multisim (pour le jeu de rôle ainsi que pour des incursions dans le jeu vidéo) et à Mnémos. Le projet est né avec un naturel déconcertant. Comme un prolongement logique de ce que nous vivions au quotidien. Comme un point d'orgue aussi, une façon d'honorer notre amitié et notre appétit de l'imaginaire. L'essentiel était surtout d'avoir des regards radicalement différents capable de se retrouver. Cette idée de deux trajectoires sécantes, d'un point de convergence. Mes souvenirs de ce bouquin me ramènent au café voisin où nous avons dressé les grandes lignes de l'histoire et de l'univers. Un moment précieux, d'une évidence rare. La suite l'a été tout autant. En écrivant à quatre mains, nous avons initié une friction vouée à faire naître quelques étincelles ;)

 

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M : Récemment, j'ai bien sûr pu découvrir "Chronique du Soupir", j'ai été impressionnée par l'immensité et la complexité de l'univers que tu as créé ; comment est né cet univers des Lignes-Vies, des Hautes Fées, etc ?
M.G. : A l'origine, de quelques images qui flottaient dans un coin de ma tête. A posteriori, je crois que l'idée fondatrice a été de vouloir incarner un principe alchimique ou poétique de l'imaginaire : pour peu que vous écoutiez votre coeur, le rêve aurait sa place. On ne mesure pas à quel point l'homme est une forge de l'imaginaire. A quel point chacun peut, à sa manière, devenir un créateur. L'univers du Soupir tient de cette idée simple : le rêve est universel. Le rêve a ses canaux qui raccordent les consciences et les coeurs. Un esperento du songe qui me fait penser que l'imaginaire est faiseur d'humanité.

  Bref. Pour Soupir, l'enjeu était de travailler sur un souffle vécu comme une magie intime, une magie à la portée de tous pour peu qu'on sache y être sensible.

  Pour le reste, l'architecture du monde n'est finalement qu'une photographie, à rebours, de ce que je viens de dire. De la cosmogonie jusqu'aux formes étirées des cités, des géodes des sirènes jusqu'au principe de l'ancrage, tout est une affaire de résonance et de logique pour rester fidèle au concept fondateur : votre coeur est une fée.

 

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M : D'autres récits tiennent-ils ou tiendront-ils place dans ce même univers ?
M.G. : Non. Je joue sur les mots : ce roman est un soupir qui doit pouvoir se lire dans un souffle. Il n'a pas vocation à s'étendre. Pour autant, c'est une conviction du moment. Possible que l'avenir me prouve le contraire et qu'un jour, j'ai envie d'y revenir. En tout cas, ce n'est pas d'actualité.

M : Il y a beaucoup de poésie dans tes mots, j'ai trouvé les phrases vraiment bien choisies et tournées ; combien de temps as-tu travaillé ce roman (l'univers, le texte, les personnages) ?
M.G. : En deux temps. J'ai écris le début il y a longtemps pour essayer d'approcher une Fantasy moins exubérante qui parlait de la mélancolie de cette femme, Lilas, qui choisit de rester auprès de son mari pétrifié. La suite s'est écrite avec une frénésie et un rapport à l'écriture qui avait changé. Soudain, j'avais "décloisonné" cette écriture et j'ai pu écrire sans pudeur. Au plus près des personnages, au plus près de l'émotion.

  La poésie dont tu parles est très importante à mes yeux. Elle sous-entend une évocation, cette indispensable propension à voyager et à créer à son tour, dans le pli des mots ou des idées abordées. C'est aussi une manière de vivre son écriture. De laisser l'univers se fondre en arrière-plan. Comme un changement de focal pour que cet univers, flou mais visible, ne laisse voir que les personnages en premier plan.

M : Peux-tu nous en dire un peu plus sur la façon dont naissent tes chroniques et tes personnages ? as-tu des techniques d'écriture ?
M.G. : La première, c'est un café. Pas trop branché de préférence. Un bistrot qui ne triche pas, où les gens passent et se reconnaissent. Chez Zahir et "Mousse", par exemple. J'ai une table attitrée et une note astronomique en limonades et cafés. C'est là que je m'installe avec mes cahiers Moleskine à petits carreaux. On n'insistera jamais assez sur le petit carreau en marge de mes univers. J'ai besoin de ce quadrillage, vraiment, pour orchestrer et canaliser mes idées. Des schémas, des notes qui s'éparpillent mais toujours cadencées par cet espace ni trop grand ni trop petit. Peut-être un écho des Terres médianes du rêve dans le jeu de rôle "Rêve de Dragon" !?

  Les notes, pour, représentent un moment de jouissance pure, une liberté suspendue à la pointe des possibles. Rien n'est encore fermé. Temps d'explosion et d'implosion : tu racles ton imaginaire, tu l'étires jusqu'aux points de rupture, tu cherches les liens, les cohérences. Un temps d'extrapolation où "rien ne se perd, tout se transforme". De ce brouhaha chimérique, tu tires bientôt un fil mélodique, une harmonie qui commande aux futures lignes de force du roman. Un moment plus difficile pour moi : désormais, tu dois tenir des éléments pour acquis, des certitudes auxquelles tu n'as plus le droit de déroger. C'est à ce prix qu'une cohérence et un récit proprement dit peuvent se construire. C'est un renoncement implicite, un véritable sacrifice pour moi. C'est l'une des raisons qui rend le jeu de rôle plus doux dans son approche créative. Le jeu de rôle ouvre tandis que le roman
enferme.

  Mais cet enfermement fait aussi sa force, sa singularité. Tu édifies des frontières qui vont servir l'ensemble. Comme le lit d'une rivière où l'eau trouvera son chemin.

  Ce moment, au café, est infiniment précieux parce qu'il explore et laboure toutes les potentialités des pistes qui fondent ta démarche. Pour le souffle, par exemple, j'ai d'abord travaillé sur le champ lexical et tout ce qui, pour moi, fait sens dans l'inconscient collectif autour du thème : le souffle court, le dernier soupir, le chant, etc. C'est la magie familière, inscrite dans notre monde ou dans nos cultures. C'est celle-ci qui m'intéresse dès lors qu'elle es travestie et transformée par ton regard. L'irruption du merveilleux reste, pour moi, un pilier vital pour envisager une histoire. Sans lui, rien n'existe. La suite est une interprétation, un étirement du concept d'origine qui oscille au bord de l'absurde.

  Vient le moment où, avec l'histoire et l'univers posés dans les grandes lignes, j'ouvre l'ordinateur. Un moment charnière. Je revendique une écriture instinctive. Mes plans n'ont jamais une forme aboutie et sont susceptibles d'évoluer avec mes personnages. Ces derniers me guident. Avec eux, je peux encore me laisser surprendre par l'histoire, je peux encore improviser. Cette improvisation a valeur de vérité. Elle fait acte de franchise, elle est instinctive. Et je crois beaucoup à l'instinct, aux impulsions qui ne sont pas filtrées par le vernis des convenances. C'est un moyen, parmi d'autres, de faire valoir ton regard, encore une fois. De ne rien emprunter, de ne pas labourer des chemins connus ou galvaudés. J'aime l'imaginaire impertinent, celui qui te bouscule sans renoncer à sa cohérence.

  Quand j'écris (dans un café, toujours), je dois basculer dans un état très primitif pour me connecter à mon imaginaire et laisser les personnages m'infuser. Cela n'arrive pas tous les jours. Parfois, tu restes à l'extérieur, devant la porte. Tu vis tes personnages comme un auteur devant son ordinateur et cela ne marche pas. J'ai besoin d'une connexion charnelle, d'une vibration. Sans cela, je suis incapable de me projeter, de ressentir ce que mes personnages ressentent.

  S'oublier pour laisser tes personnages te hanter est un exercice périlleux.

M : Des dédicaces sont elles bientôt prévues ? Viendras-tu aux Utopiales cette année ; j'ai été très triste de ne pas t'y rencontrer en 2010. ^^
M.G. : Oui, je serai aux Utopiales avec ma femme (et peut-être mon fils aîné). Ce festival est incontournable !

 

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M : As-tu des projets littéraires en cours ?
M.G. : Deux romans en cours.
Le premier est un projet numérique sur un thème contemporain. Un hommage aux films dits de "genre". Je ne peux pas en dire beaucoup plus pour l'instant.
Le second est un roman d'anticipation que je porte en moi depuis des années et pour lequel je me sens enfin prêt.

M : Le mot de la fin sera...
M.G. : Merci ! Pour cet échange et tous ceux qui viendront.

 

 

Et voilà, quelle lecture, n'est-ce pas ?! Je suis comme une gamine suite à cette interview et le serait bien plus si je le rencontre aux Utopiales...

Merci encore Mathieu Gaborit de m'avoir permis de passer de l'autre côté du livre (^-^)

Publié dans ♦ Interviews

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